Les crypto-monnaies, pour n’évoquer que ces dernières dans le monde des actifs numériques, sont en train de devenir une classe d’actifs quasi à part entière qui occupe les discussions dans les dîners en ville tout en se faisant une part belle sur les réseaux sociaux. Sa démocratisation n’est plus un secret compte tenu de son écho dans les médias et ce malgré une nouvelle chute de près de 50 % du Bitcoin sur les 6 derniers mois. Voyons quelle est la fiscalité qui s’y applique.
Par Frédéric Poilpré – Membre du cercle des Fiscalistes
Directeur de l’ingénierie patrimoniale – Le 29H – Société Général Private Banking
Marché financier non régulé, les font, en outre, progressivement l’objet d’une réglementation spécifique en droit français notamment à l’issue de la loi Pacte du 22 mai 2019 qui modifie le code monétaire et financier. D’un point de vue fiscal, le cadre de taxation a évolué depuis la mise à jour de la base documentaire de l’administration fiscale le 11 juillet 2014. Signe que le sujet suscite l’intérêt, le cadre fiscal actuel, en vigueur depuis la loi de finances pour 2019, a fait l’objet d’aménagements et d’éclaircissements par la loi de finances pour 2022.
Avant de développer la fiscalité applicable aux éventuels gains réalisés par les investisseurs, il est primordial de répondre à cette première question : quand est-on imposable en cas de cession de crypto-monnaies ?
Il faut en premier lieu définir les
cas dans lesquels un impôt serait effectivement dû en cas de gain.
Pour faire simple, tant que l’investisseur reste dans le monde des
crypto-monnaies et réalise des arbitrages entre Bitcoin et Ethereum
par exemple, il n’y a aucune imposition.
Les faits générateurs d’imposition
sont les suivants :
- La conversion de crypto-monnaies
en « monnaie fiat » (euro, dollar ou autre monnaie ayant
cours légal),
- L’utilisation de crypto-monnaies
pour acheter un bien de consommation ou en l’échange d’un
service,
- La cession de crypto-monnaies avec
la perception d’une soulte c’est-à-dire un paiement à la fois
en crypto-monnaies et en monnaie ayant cours légal.
Si le montant global des cessions
réalisées sur une année, par un contribuable considéré comme
« non professionnel », n’excède pas 305 € par an, il
n’y a pas de taxation. Si ce seuil est dépassé, il est possible
de compenser les plus et moins-values de cession de crypto-monnaies
réalisées au cours de la même année. En cas de perte globale
annuelle, celle-ci ne pourra pas s’imputer sur les autres revenus
et ne sera pas reportable les années suivantes.
Concrètement, une solution simple pour
ne pas matérialiser un fait générateur d’imposition, tout en se
prémunissant de la volatilité attachée aux crypto-monnaies, est de
réaliser un arbitrage contre des « stable coin » comme
l’USDT par exemple. Une telle opération permet de différer
l’imposition dans la mesure où les « stable coin »
restent des crypto-monnaies mais dont le cours ne varie en principe
pas et se rapproche de celui de monnaies ayant cours légal.
La deuxième question fondamentale pour
connaître le régime d’imposition des gains consiste à déterminer
si l’investisseur est qualifié de professionnel ou non
professionnel.
Pour le moment, cette appréciation est
faite au cas par cas par l’administration et seuls la fréquence et
le caractère habituel des opérations sont retenus pour qualifier un
investisseur de professionnel. Force est de constater que ces
critères ne sont pas adaptés à la volatilité de ces marchés qui
imposent d’être à la fois actif et réactif. Cette appréciation
subjective sera cependant terminée grâce aux apports de la loi de
finances pour 2022 qui produira ses effets pour les opérations
réalisées à compter du 1er janvier 2023.
Après cette date,
le législateur renverra à des notions qu’il connaît bien
puisqu’il définira les gains des professionnels en alignant sa
position « sur les opérations de bourse ». Pour être
qualifié de professionnel, l’investisseur devra donc réaliser ses
opérations sur les marchés dans des conditions similaires à celles
d’un professionnel : opérations nombreuses, sophistiquées,
utilisation des mêmes outils et techniques que des professionnels du
trading…A contrario, l’investisseur sera non professionnel.
Quel sera le régime
de taxation appliqué aux gains selon que l’investisseur sera
qualifié de professionnel ou de non professionnel ?
Actuellement
taxables dans la catégorie des BIC, les gains réalisés par des
investisseurs qualifiés de professionnel relèveront du régime des
BNC pour les opérations imposables réalisées à partir du 1er
janvier 2023.
Concrètement, les
gains seront toujours taxés à l’Impôt sur le Revenu (IR),
majorés des prélèvements sociaux de 9,7% dont 6,8% déductibles
l’année de perception des revenus, mais dans une catégorie de
revenu différente. Ainsi, suivant le montant des revenus tirés de
leur activité le régime fiscal sera différent. Il sera possible
soit de bénéficier du régime du micro-BNC ou sur option du régime
du réel soit, au-delà d’un certain seuil, le régime du réel
s’appliquera obligatoirement. Il faut avoir en tête que le régime
du micro-BNC permet l’application d’un abattement forfaitaire de
34 % sur les revenus de l’activité et le régime du réel
ouvre droit à la déduction des frais réels engagés pour la
réalisation de l’activité. Lorsque l’option entre ces deux
régimes est possible une étude fine devra être réalisée.
A titre illustratif,
les gains relevant du régime des micro-BNC taxés à la Tranche
Marginale d’Imposition (TMI) de l’IR à 45% entraînerait une
taxation globale de 36,3% en tenant compte des prélèvements
sociaux.
Pour les
investisseurs non professionnels, les gains seront taxés à un l’IR
au taux de 12,8% majoré des prélèvements sociaux de 17,2%, soit
une imposition globale de 30%. Toutefois, pour les gains réalisés à
partir du 1er janvier 2023, le contribuable aura la
possibilité d’opter pour une imposition des gains au barème de
l’IR de manière à favoriser les investisseurs ayant une TMI
inférieure à 12,8%, ce qui peut souvent être le cas pour les
revenus les plus « modestes » comme ceux des étudiants
ou des jeunes actifs par exemple.
Les investisseurs
dont la TMI à l’IR ne dépasserait pas 11% auront donc
intérêt à opter pour une taxation au barème. Le taux global
d’imposition pourrait ainsi être au maximum de 28,2% pour les
gains taxés dans cette tranche, sans compter la possibilité de
déduire une quote-part de CSG l’année suivante de 6,8%, ce qui
donnerait, in fine, une imposition de l’ordre de 27,5%.
Quelle que soit la qualification
retenue pour les investisseurs, ces gains sont pris en compte dans le
calcul du revenu fiscal de référence et pourraient donc entraîner
un complément d’imposition de 3 ou 4 % au titre de la
Contribution Exceptionnelle sur les Hauts Revenus.
Bien que le régime de taxation soit
dorénavant clair, la détermination des gains taxables tous les ans
n’est pas un exercice simple et nécessite un suivi très rigoureux
de l’ensemble des opérations réalisées dans le temps ! Il
existe, à ce titre, des outils sur le marché pour faciliter ce
suivi car l’erreur peut vite être commise dans la détermination
de la plus-value taxable surtout si l’investisseur est actif sur ce
marché.
Enfin, la réglementation autour des
crypto-monnaies évolue constamment et tend à assurer de plus en
plus de transparence pour les comptes détenus sur des plateformes
basées hors de France. Aussi, il est primordial de rappeler que tout
investisseur doit déclarer chaque année dans sa déclaration d’IR
ses comptes de crypto-monnaies détenus, ouverts, utilisés ou clos à
l’étranger. A défaut de déclaration, l’administration pourrait
appliquer des pénalités comprises entre 125 € et 10 000 €
suivant le montant de la valeur des comptes d’actifs numériques
non déclarés ou dont les données sont incomplètes ou inexactes.