« Les programmes du RN et du Nouveau Front populaire sont dangereux pour l’économie ». Après cette déclaration de Patrick Martin, patron du Medef, Jordan Bardella et le RN ont redoublé d’efforts pour rassurer les milieux économiques en vue de ces législatives 2024.
L’héritage de comptes publics dégradés
Jordan Bardella est revenu sur l’exonération d’impôts sur le revenu pour les créateurs d’entreprises de moins de 30 ans ou la TVA à 0% sur les produits de première nécessité. Des mesures qui figuraient bien au programme en 2022 mais qui ont été repoussées à plus tard, explique le prétendant à Matignon. La raison qu’il invoque est claire; avec l’état déplorable des comptes publics, il doit composer avec l’héritage d’une dette et d’un déficit record.
Pour séduire le patronat, le prétendant à Matignon est prêt à reculer, au moins temporairement, sur la mise en place d’un impôt sur la fortune financière. Reste l’exonération de cotisations patronales pour les augmentations générales de salaires de 10% jusqu’à trois Smic. Des mesures qui devraient trouver un écho chez les chefs d’entreprise. En avril dernier, avant les européennes, le patron du RN avait déjà été auditionné par le Medef et les adhérents de l’organisation avaient déjà pu constater l’évolution du parti sur les questions économiques.
« L’ambition d’une rupture responsable, soucieuse de la stabilité des institutions »
Lors de son audition, face à un parterre de grands patrons parfois inquiets de l’arrivée potentielle du RN à Matignon, Jordan Bardella a donc tenu d’entrée à rassurer. « L’ambition que nous portons avec le président Ciotti est celle d’une rupture responsable, respectueuse des corps intermédiaires et des partenaires sociaux, soucieuse de la stabilité des institutions », défend-il.
Le Niçois a assumé être un libéral et s’en est pris sur scène au président du Medef. « Je l’avoue : voir placé sur le même plan notre programme et le programme du Front populaire m’a quelque peu étonné mon cher Patrick (Martin), nous n’avons pas la même vision du pays », a déclaré le patron des LR.
Jordan Bardella a cependant pu détailler, devant les patrons, les six piliers de son programme économique pour les législatives 2024 reposant sur « la croissance et la remise en ordre de l’Etat » :
– la stabilité fiscale, « adaptée à la réalité de la compétition internationale »
– l’efficacité de l’Etat – Jordan Bardella veut engager dès l’automne des « Etats généraux de la simplification pour dresser un état de lieux des contraintes qui pèsent sur la croissance »
– les infrastructures, en maintenant le nucléaire au coeur de la politique d’investissement énergétique
– le capital humain et les compétences – Jordan Bardella a proposé de donner la liberté d’augmenter les salaires, en exonérant de cotisations patronales jusqu’à 10 % d’augmentation
– l’accès au capital, en fléchant l’épargne vers l’économie réelle. « Nous entendons bâtir un fonds souverain », a dit Jordan Bardella. « Les Français pourront librement y souscrire et orienter leur épargne au service de grands projets d’infrastructures énergétiques ou encore de l’innovation et de l’intelligence artificielle »
– la stabilité politique – Jordan Bardella a dit vouloir mettre en place une « alternance raisonnable » et une « rupture responsable » avec une « majorité de redressement respectueuse des partenaires sociaux ».
Le président du RN a aussi repris à son compte une mesure prévue par l’exécutif de supprimer « intégralement » la CVAE, un impôt de production pesant sur les entreprises.
Bruno Le Maire : « Priorité absolue » au « rééquilibrage des comptes publics »
C’est Bruno Le Maire, l’actuel ministre de l’Economie et des Finances qui a été auditionné au nom de la majorité présidentielle. « Le rééquilibrage des comptes publics est une priorité absolue, c’est ce qui nous distingue », a-t-il déclaré, expliquant que les programmes des oppositions pour les législatives 2024 sont à « contre-temps ».
Interrogé sur un éventuel mea culpa concernant les politiques menées, il a évoqué le logement. « Soyons honnêtes, sur le logement nous n’avons pas fait assez ».
Sur le sujet de l’électricité, Bruno Le Maire a annoncé vouloir rouvrir la négociation des contrats à long terme avec EDF. « Nous, nous voulons plus de réacteurs, plus de renouvelables et nous rouvrirons la négociation des contrats avec EDF parce que le prix de sortie n’est pas suffisant et pas suffisamment compétitif pour l’industrie française ».
Bruno Le Maire a fustigé la proposition du RN de sortir du marché européen de l’électricité. « Ca s’apparente à un « Frexit ». Si vous sortez du marché européen de l’électricité, vous sortez de l’Europe ».
« C’est un résumé de ce qu’ils veulent pour la France, le retour en arrière », a dit le ministre de l’Economie, évoquant l’abrogation de la réforme des retraites prônée par le RN. « Ne cédez pas aux sirènes du RN, on n’est peut-être moins glamours mais plus efficaces », assène-t-il devant les chefs d’entreprise.
Bruno Retailleau (LR) : « Plus de croissance et moins de dépenses »
Auditionné en dernier, le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, a appelé à muscler la compétitivité et la productivité françaises.
« La classe politique de droite à gauche et au centre partage depuis des années un modèle que j’appelle le social-étatisme », a-t-il affirmé. « Mais il faut plus de croissance et il faut moins de dépenses », a-t-il poursuivi, chiffrant les nécessaires économies à réaliser à 100 milliards d’euros sur cinq ans, dont 50 milliards de désendettement.
« La croissance potentielle, c’est la compétitivité, la productivité avec l’offre de travail et on est mauvais sur les deux », a également dit Bruno Retailleau, appelant à utiliser les leviers des impôts, des normes, de l’énergie, de la recherche et développement, et de ne pas toucher au crédit d’impôt recherche.
La France présente toutefois un écueil selon lui pour retrouver la croissance : « Il nous manque […] par rapport à nos partenaires européens trois semaines de boulot par année », a-t-il jugé, disant assumer « ce qui est impopulaire ».
Sur les fonctionnaires, Bruno Retailleau s’est dit favorable à la baisse du nombre d’agents publics et la priorisation de ces postes à des fonctions de souveraineté. Quant aux revenus d’assistance, il s’est dit pour une « allocation unique […] pour qu’il y ait un écart entre revenu de l’assistance et le revenu du travail ».
Sur l’immigration enfin, Bruno Retailleau a appelé à ce qu’« on arrête de dire aux Français qu’on peut accueillir toute la misère du monde », fustigeant l’aide médicale d’Etat.
Devant les entrepreneurs, le président du groupe LR au Sénat a aussi détaillé les différences de son camp avec le RN ou la majorité sortante pour ces législatives 2024. « Nous, ce qu’on apporte et la différence par rapport, par exemple, à Emmanuel Macron, c’est que sur l’économie, en réalité pour moi c’est un technocentriste. Il a fait de bonnes choses […] mais on n’a pas changé de modèle. » « Au point où on en est, si on n’assume pas un changement radical de modèle, c’est-à-dire qu’on laisse le modèle social étatiste derrière nous, on a tout faux », a dit Bruno Retailleau.
« Un des angles morts du macronisme, c’est le régalien », a-t-il ajouté. « Vous ne pouvez pas avoir la liberté d’entreprendre, la liberté tout court, si vous n’avez pas l’ordre. » « Ce que nous, nous apportons, le Rassemblement national peut de temps en temps sur l’immigration avoir des mesures voisines. Sur l’économie, ils ont un projet plus proche de celui de M. Mélenchon que du nôtre. Et M. Macron, sur l’économie, il semble plus proche du nôtre mais sur le régalien, il dévisse complètement par rapport à l’ordre qu’il faut rétablir », a-t-il conclu.
« Ma famille politique, qui est très affaiblie […], cette famille politique, elle représente beaucoup », a aussi soutenu Bruno Retailleau. « Parce que la droite est un tout et qu’en politique tout se tient. J’ai parlé beaucoup d’économie […] mais vous ne pourrez pas mobiliser les Français uniquement sur une compétitivité, ni sur le ‘travailler plus’. Il faut une vision », a-t-il défendu. « Le tripartisme va éclater. Je ne sais pas si c’est dans quelques mois, dans quelques années, mais on aura besoin de cette droite française. » dit-il pour élargir sa vision au-delà des législatives 2024.